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1 avril 2019 1 01 /04 /avril /2019 13:02

"Je vois encore Joffre, à Londres, après la Marne, adossé à la cheminée et nous disant : "Tout sera fini à Noël." Paul Morand (*)

 

En cette année 1915, "tout est à la guerre et nul ne songe à Sa Majesté Carnavalesque" comme le déplore un article de L'Indépendant des Pyrénées-Orientales. Désormais, Perpignan vit au rythme des nouvelles du front et, comme toujours - ou depuis toujours -, de ces petites choses qui font la vie habituelle d'une ville. Alors que le journal cité précédemment parle en une du tremblement de terre qui vient de secouer la région de L'Aquila en Italie (15 janvier 1915) et qui a arraché à la vie entre dix et douze mille personnes - sans parler des blessés -, à la rubrique "Dernière locale", les lecteurs apprenaient que le propriétaire d'un mas proche de la ville avait déclaré un vol d'artichauts tandis qu'une semaine avant, ce sont vingt-quatre choux-fleurs qui avaient été volés dans un jardin de Saint-Jacques et que des enquêtes étaient ouvertes. La misère, la précarité comme on dit trop souvent maintenant, le manque d'argent en pousseront beaucoup à commettre de petits larcins, voire pis encore dans le domaine de l'aberration ! La rapide augmentation du prix du pain, elle-même due au manque de ravitaillement en farines, et dont le journal catalan parlera à de nombreuses reprises au cours de l'année 1915, sera un coup terrible porté au pouvoir d'achat des plus humbles et des plus démunis - en 1915, on parlait déjà de Sans Domicile Fixe. Le pain blanc de un kilogramme passe en février de 45 à 50 centimes et les autorités seront vigilantes quant à la tolérance de cent grammes (pas un de plus) accordée aux boulangers et qui pourrait en cas de son non respect entraîner des poursuites. Dura lex sed lex. Les autorités constateront que les boulangers inspectés dans différents quartiers de la ville donnent bien le poids du pain réglementaire. Le ministre du Commerce annoncera bientôt dans un télégramme adressé au préfet des Pyrénées-Orientales qu'il fait "une cession de cinq mille quintaux de blé à 32 frs sur un vapeur incessamment attendu à Marseille pour ravitailler ville de Perpignan". (19 mai 1915) Les articles sur l'explosion de gaz dans l'immeuble du 37 rue Saint-Martin - face à l'hôpital militaire - en janvier 1915 et le chahut provoqué tous les soirs par un groupe de perturbateurs qui narguent et agressent les habitants de la place du Puig et de ses alentours "qui se demandent s'il ne sera pas nécessaire de se munir de gourdins avant de sortir en promenade" (L'Indépendant daté du 29 août 1915) auraient pu passer inaperçus rapport aux événements tragiques qui se déroulent dans le reste du pays.

 

Le département des Pyrénées-Orientales est un département viticole, comme déjà indiqué dans des chapitres précédents. Et, avec le départ de très nombreux jeunes pour le front, la main-d'oeuvre fait cruellement défaut dans les exploitations malgré la venue d'ouvriers espagnols qui ne sont plus seulement autorisés à entrer en France par Cerbère (jusqu'en juillet 1915) sinon aussi par Bourg-Madame et Le Perthus suite à la demande émise auprès du ministre de l'Intérieur par le député Emmanuel Brousse.  C'est aussi Emmanuel Brousse et Léon Nérel qui entament, dès le mois de janvier, une démarche auprès de l'Exécutif pour que soient accordées des permissions de quinze jours aux fils de viticulteurs afin d'aider à la taille de la vigne. Les députés se battent pour la préservation des activités viticoles et horticoles dans le département dont ils sont les élus. C'est ainsi qu'Emmanuel Brousse insiste pour que soit généralisée la consommation de légumes dans l'armée pour la bonne santé du soldat mais aussi pour maintenir une activité économique viable dans les régions horticoles et c'est encore lui, de concert avec son collègue Léon Nérel, qui s'insurge auprès des ministres des Finances et de l'Agriculture pour que ne soit pas appliquée la décision de la Chambre de Commerce de Marseille "de produire en vins de sucre le 1/5 de la récolte déclarée en 1914 sous prétexte de parer à l'insuffisance de la récolte de 1915" ce qui provoquerait selon les deux députés "la déchéance irrémédiable de la viticulture française" (20 juillet 1915). Comme le département des Pyrénées-Orientales compte aussi quelques stations thermales, le député Emmanuel Brousse n'a pas manqué de demander au ministre de la Guerre quelles mesures il prendrait en vue de l'utilisation par l'armée de ces stations pour le traitement des douleurs, des maladies, des blessures subies par les soldats (mars 1915). A propos de blessures et autres bobos, j'ai lu dans un numéro du journal L'Indépendant daté du mois de juillet 1915 cette étrange publicité : "Chaque soldat doit avoir un tube de RADIOLE contre rhumatismes, douleurs, maux de reins, sciatiques."

   

Côté météo, en 1915, comme le chantera plus tard Henri Salvador, "c'est pas la joie". Dans l'après-midi du 22 février, la tramontane qui soufflait a rapidement gagné en intensité, faisant tomber des arbres dans le parc de la Pépinière et dans la promenade des Platanes, arrachant des toitures dans les quartiers du Vernet et de Saint-Martin, renversant des véhicules et interrompant la circulation des tramways. Cette tempête a aussi été ressentie de la Gironde au Gard en passant par l'Aude et l'Hérault. L'automne ne sera pas plus gâté par le temps.

 

C'est au printemps 1915 que le jeune Aimé Giral - ce talentueux joueur de rugby qui avait donné à l'ASP son premier titre de champion de France le 3 mai 1914 -, subit son baptême du feu après avoir effectué ses classes à Pézenas. Né à Perpignan en août 1895 (inscription au 10 rue Grande-la-Réal), il sera grièvement blessé par un éclat d'obus et décédera à l'âge de 19 ans le 22 juillet 1915 près du village de Somme-Suippe (à une vingtaine de kilomètres à l'est de Mourmelon) dans le département de la Marne. Sa dépouille sera rapatriée en 1922 et déposée dans le caveau familial du cimetière de l'Ouest (Perpignan). Un stade, celui de l'USAP, porte son nom depuis 1940. Avec lui, ce furent sept jeunes joueurs de l'ASP qui tomberont au champ d'honneur pendant la Grande Guerre. J'ai récemment vu un tableau signé de Max Beckmann (peintre allemand décédé à New York en 1950) dans une exposition qui lui est consacrée actuellement à Barcelone. Il représente un soldat qui va partir pour le front et qui dit au revoir - ou adieu - à sa fiancée. En regardant ce tableau d'une simplicité et d'une cruauté infernales, j'avais en tête une chanson de Jacques Larue - pour les paroles - et Philippe-Gérard - pour la musique - intitulée Miséricorde, chanson qu'Edith Piaf a enregistrée en studio le 28 février 1955 mais qu'elle avait déjà interprétée le mois précédent à l'Olympia. Cette chanson, véritable réquisitoire contre la guerre, dont, à mon avis, il faudrait faire étudier le texte dans tous les collèges de France, relate une scène similaire à celle vue sur le dit tableau mais cette fois dans une gare où la fiancée n'est "pas la seule à chialer sur le quai" - je cite les paroles de mémoire. "Avec leurs boniments, ils ont tué mon amant", "les p'tites croix blanches ont des dimanches qui n'sont pas gais" - je cite toujours de mémoire -, et la chanson se termine par ces mots terribles : "Mais la vie est si moche que même ça je l'oublierai." Une phrase qui m'avait beaucoup marqué - et qui m'interroge encore -, quand j'ai entendu cette chanson pour la première fois à l'âge de treize ou quatorze ans. "Mais la vie est si moche, que même ça je l'oublierai."

 

Certains ne moururent pas l'arme au poing mais le pinceau à la main. Le peintre Francis Tattegrain - qui était né à Péronne (Somme) en 1852 - fut tué alors qu'il peignait sous un bombardement le beffroi d'Arras. Classé monument historique avant la guerre, et offrant, avec ses 75 mètres de hauteur, une vue imprenable sur la ligne de front, il était une cible de choix pour l'artillerie allemande. Elevé à partir du 15ème siècle et achevé au siècle suivant, le beffroi, comme l'hôtel de ville attenant, sera reconstruit à l'identique dans les années 1920. Francis Tattegrain, peintre naturaliste, qui a longtemps vécu à Berck (Pas-de-Calais) avait un pied-à-terre au 12 boulevard de Clichy à Paris. Il est donc mort le vendredi 1er janvier 1915 à Arras.

          

(*) Journal d'un attaché d'ambassade 1916-1917 par Paul Morand de l'Académie française (Editions Gallimard, 1996)

A Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales)

A Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales)

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