Je suis le 29 février

Je sors de ma boîte tous les quatre ans tel un diablotin. Aujourd'hui, ce n'est pas mon anniversaire, mais mon tétraversaire. Durant les années qui me séparent de mon jour à moi, je reste sur mon traversin et je traverse les saisons en hivernation. Je suis le mal aimé. J'ai de nombreux adversaires ; je suis un parasite, dit-on. J'oblige les gens à travailler un jour de plus pour ne pas gagner plus. J'impose le principe du travailler plus pour gagner pareil. On me déteste mais je reste de marbre : je ne suis pas férié. Le mois de mars est la fenêtre qui donne sur le printemps mais c'est moi qui l'ouvre quand je le veux. J'ai le pouvoir de retarder l'entrée dans ce mois du renouveau. Je contrecarre les souhaits des gens pressés. Je suis un frein, un empêcheur de tutoyer les bourgeons. J'agace, je suis haï, isolé dans mon entêtement, et menteur avec ça : je suis celui qui veut faire croire que février a de l'avenir. J'enfonce des aiguilles dans vos meules de foin ; Il vous faudra attendre avant de pouvoir vous y coucher. Je suis 29 mais je suis vieux. Je suis le prolongement du mois de nivôse. Je suis la conséquence de mes propres névroses.