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30 avril 2013 2 30 /04 /avril /2013 07:55

Après avoir occupé plusieurs postes consulaires en Asie, Pablo Neruda est nommé à Barcelone au début de l'année 1934, puis à Madrid l'année suivante. A Madrid comme dans toute l'Espagne règne en cette année 1934 un climat insurrectionnel. Malgré la victoire des républicains aux élections municipales et le départ du roi Alphonse XIII en avril 1931, "l'opposition monarchiste est puissante ; quant à l'extrême droite, elle a trouvé, en octobre 1933, un outil efficace dans le parti fasciste de la Phalange fondé par José Antonio Primo de Rivera". (1)

Octobre 1934 est le mois qui porte en lui les germes de la guerre civile.

"Dans les premières heures de la matinée du 6, la consigne tant attendue arriva de Barcelone. Le coup de force contre le gouvernement de Madrid était imminent. Les habitants de Gérone savaient ce qu'ils avaient à faire. Chacun à son poste.

Le Commissaire de la Généralité en la recevant, signa l'ordre de destitution du conseil municipal et l'occupation de la mairie. Et simultanément, la missive annonçait aux citoyens que le moment était venu et qu'ils devaient quitter leurs maisons et se rassembler sur la Place Municipale et les rues adjacentes. Les familles, main dans la main, se dirigèrent vers le lieu indiqué et sur le chemin allaient unies les unes aux autres, formant une grande chaîne. Le moment était historique. La masse mobilisée était impressionnante. Les files marchaient serrées et tout le monde, aligné devant le bâtiment de la mairie, attendait les ordres définitifs.

Enfin, un gigantesque drapeau catalan apparut au balcon. Ses couleurs vives ondoyèrent sur toute la façade. Et un homme vêtu de noir, le nouveau maire, d'une voix émue et sonore, levant les bras, proclama à Gérone l'Etat catalan dans la République Fédérale Espagnole.

Catalogne Indépendante ! Le cri parcourut la place et les rues noires de monde. Les haut-parleurs répercuaient l'information que la Catalogne entière avait répondu à l'appel. Catalogne indépendante ! Un peuple atteint son objectif ; les gorges ne pouvaient exprimer ce que les âmes ressentaient.

Le drapeau aux quatre barres de sang fleurissait dans les mains, aux fenêtres. Et le vieil hymne vénéré - Els Segadors - résonnait partout en boucle.

Les radios informaient sans cesse. Dans la province de Barcelone, des centaines de métayers se dirigeaient vers la capitale pour aider les forces de la Généralité. Apparemment, le gouvernement de Madrid ne savait que faire. Visiblement, il n'avait pas cru que les choses seraient si sérieuses ! Dans les Asturies, les mineurs s'étaient constitués en une véritable armée qui au même moment se dirigeait sur Oviedo.

Les heures s'écoulaient vertigineusement. Passaient des camions et des villages arrivaient des messagers qui transmettaient la bonne nouvelle : Camarella : à nous ; San Feliu : à nous ; Figueres : à nous ; Puigcerda : à nous...

A sept heures et demie du soir, au moment où un camion sur lequel avaient été installés un haut-parleur et une mitrailleuse traversait le pont de Pierre en ordonnant aux gens de se concentrer devant le commissariat, la ville fut plongée dans le noir. Les réverbères de la Rambla s'éteignirent. Le long de la rivière, toutes les lumières s'enfoncèrent dans le néant. La grande illumination de la mairie s"éclipsa.

Au même moment, dans les casernes de l'infanterie, se fit entendre un roulement de tambour.; un roulement rythmique qui se rapprochait et qui descendait jusqu'à la partie basse de la ville. Gérone se tut pour l'écouter.

Que se passait-il ? Des casernes d'artillerie sortaient aussi des soldats en formation parfaite. Officiers en tête, le long de la rivière, jusqu'à la Place Municipale. Ils formaient deux colonnes qui confluaient sur le pont de Pierre. Personne ne savait si ces soldats étaient des amis ou des ennemis.

Soudain, on entendit un coup de clairon. Etat de guerre ! Sans descendre de cheval, de nombeux officiers et des soldats présentèrent les armes, le commandant lut la proclamation déclarant l'état de guerre dans la ville.

Ennemis ! L'armée était devenue une ennemie. La rumeur se répandit comme un fleuve. La foule se dispersa à une vitesse inouïe. L'armée avait reçu l'ordre de faire feu sur la moindre poche de résistance.

A cinq heures du matin, le courant electrique fut rétabli. (...) Enfin, à six heures cinq, les micros de Barcelone informèrent que la Généralité se rendait aux troupes du général Batet, chargé d'étouffer le mouvement dans la capitale.

Dans toute la Catalogne, les événements n'avaient pas duré plus de vingt-quatre heures. En revanche, dans les Asturies, ils revêtaient d'autres caractères, dont la gravité ne pouvait être niée. Vingt mille mineurs s'étaient emparés de la région, conduits plus intelligemment, apparemment, que les séparatistes catalans. (...) Le reste de l'Espagne était tranquille, à part quelques incidents à Madrid." (2)

"Les élections législatives de novembre sont gagnées par les partis de droite tandis qu'éclate une révolte en Asturies. Un jeune général dirige les opérations de répression et mate l'insurrection : deux mille morts, trente mille arrestations. Il a pour nom Francisco Franco et pour adversaire une jeune militante communiste : Dolores Ibarruri. Il règne à Madrid un climat de drame et de conflit.

En cet après-midi d'octobre 1934, un manifestant vêtu d'un bleu de travail meurt sous les yeux du jeune Jorge. Fauché par une rafale de fusil mitrailleur tirée par un homme de la Garde civile, il gît au pied de la fameuse fontaine..." (1)

C'est dans ce contexte que Pablo Neruda est nommé consul du Chili à Barcelone (1934) puis à Madrid (1935) :

"A peine arrivé à Madrid, et devenu comme par enchantement consul du Chili dans la capitale espagnole, je connus tous les amis de Garcia Lorca et de Rafael Alberti. Ils étaient nombreux. (...) L'un des amis de Federico et de Rafael était le jeune poète Miguel Hernandez. Quand nous fîmes connaissance il arrivait en espadrilles et pantalon de velours côtelé de paysan de ses terres d'Orihuela, où il avait gardé les chèvres. Je publiai ses vers dans ma revue Cheval Vert ; le scintillement et le brio de son abondante poésie m'enthousiasmaient.

(...) Avec Federico et Alberti, qui vivait en voisin dans un attique au-dessus d'un bosquet, le "bosquet perdu", avec le sculpteur Alberto, boulanger de Tolède qui était déjà à l'époque un maître de la sculpture abstraite, avec Altolaguirre et José Bergamin, avec le grand Luis Cernuda et Vicente Aleixandre, poète d'une dimension illimitée, avec l'architecte Luis Lacasa, avec eux tous en une seule bande ou par petits groupes, nous nous voyions chaque jour chez l'un ou chez l'autre et dans les cafés.

De la Castellana ou de la Brasserie de la Poste, nous prenions le chemin de ma maison, la Maison des Fleurs, dans le quartier d'Argüelles. De la deuxième plate-forme d'un des gros autobus que mon compatriote, le grand Cotapos, avait baptisés " bombardons", nous descendions en cohortes bruyantes manger, boire et chanter. Je me souviens que parmi mes jeunes compagnons de poésie et d'allégresse il y avait aussi Arturo Serrano Plaja ; José Caballero, le peintre au talent éblouissant et plein esprit ; Antonio Aparicio, qui débarqua directement chez moi d'Andalousie ; et beaucoup d'autres qui ne vivent plus là-bas ou ne vivent plus du tout, mais dont la fraternité me manque terriblement car elle faisait partie de mon corps et était un des éléments de mon âme." (3)

(1) Le Madrid de Jorge Semprun, Gérard de Cortanze (Editions du Chêne, 1997).

(2) d'après Los cipreses creen en Dios de José Maria Gironella.

(3) J'avoue que j'ai vécu, Pablo Neruda (Gallimard, 1975).

Place de l'Indépendance, Girona (Catalogne).

Place de l'Indépendance, Girona (Catalogne).

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