Le film L'Inconnu du lac que j'ai vu hier n'est ni un documentaire, ni un inventaire de corps beaux, ni un film policier. Il pose la question de savoir - sans toutefois donner de réponse -, pourquoi des hommes se rendent régulièrement dans des lieux de rencontres pour hommes, ce qu'ils y cherchent, ce qui les détruit.
Un lac entouré par un magnifique paysage arboré, toujours le même lieu pendant toute la durée du film, voici le décor du dernier long métrage de Alain Guiraudie. Une plage, un bois, lieu obsédant où des garçons vont chaque jour, répétition mécanique pour routine cruelle et dévorante. Certains y vont pour retrouver un ou des amis, pour voir ce qui se passe dans les fougères ou simplement pour parler, pour rompre une solitude dans un monde déshumanisé. "Les hommes sont cruels et crèvent de tendresse" disait Dimey et on va dans ces lieux pour trouver un peu de chaleur dans des rencontres de hasard et de bazar. On passe de l'un à l'autre sans savoir ni son prénom, ni son âge, encore moins son numéro de téléphone et ce manque de curiosité de la part des partenaires ne fait pas l'affaire du policier qui enquête sur la noyade d'un des garçons qui venait là régulièrement. On s' "aime" sur cette plage mais on peut disparaître sans que personne ne s'en aperçoive. C'est le chacun pour soi dans la promiscuité.
Certains d'entre nous ont déjà vécu ses scènes qui en choqueront plus d'un(e). C'est de la jouissance à (pour) gogo et il y a cette inexplicable raison pour laquelle on peut être attiré par un garçon plutôt qu'un autre, cette envie d'expliquer la subjectivité de la beauté à moins que ce ne soit qu'un réflexe guidé par la testostérone, pour un plaisir égoîste avec un corps vivant mais que l'on prend pour un corps sans âme, sans vie, que l'on ne respecte pas parce qu'on ne se respecte pas soi-même. La scène de pénétration sans préservatif entre deux êtres qui ne se connaissent pas et qui ne se verront peut-être plus jamais en est l'illustration flagrante. La scène de meurtre se répète ainsi à l'infini : on tue ce qu'on croit aimer, on détruit pour aller vers un ailleurs et on se détruit.
Dans ce film, on se moque de savoir qui est l'assassin ; d'ailleurs l'un des personnages tue le policier chargé de l'enquête : on ne verra donc pas de suspect menotté et emmené dans le panier à salade. Le but du film n'est pas là. De même, la dernière scène attise l'imagination du spectateur. Le garçon, seul sur ce parking dans une nuit noire et peureuse, sera-t-il tué lui aussi ? ou partira-t-il avec l'assassin ? à moins que ne celui-ci ne soit déjà parti ?
Le réalisateur lance des pistes, pose des questions ; à chacun de tenter d'y répondre et d'apporter sa propre solution.