Dans nos articles des 31 juillet et 2 août 2011, nous avons reproduit l'article que Jean Moisson avait écrit il y a vingt ans sur l'histoire de l'installation de Français de France dans
l'Illinois au début du 18ème siècle. Jean Moisson, après un voyage dans les Etats du nord des Etats-Unis, a relaté pour la gazette de l'association France-Louisiane-Franco-Américanie, ses
nombreuses rencontres avec les descendants de ces Français de France. Aujourd'hui, nous retranscrivons celui qu'il avait écrit sur nos cousins du Missouri, Etat du Middle West, au nord de
l'Arkansas, qui a pour surnom "Show me State" et pour capitale Jefferson City. Rappelons que Jean Moisson a été pendant plus de deux décennies administrateur de cette association, et
aussi vice-président et qu'il est décédé le 26 mai dernier.
"C'est par la Vieille Mine, aujourd'hui Old Mines, que j'ai commencé mon périple, accueilli et guidé par Annie Pagé-Pashia, présidente de la Société Historique de la région de la Vieille Mine.
Bien qu'elle n'ait plus souvent l'occasion de s'exprimer en français - notre correspondance, avant mon arrivée s'était faite en anglais - c'est dans notre langue, archaïque et émouvante, à la
fois, qu'elle me souhaita la bienvenue, lorsque j'arrivai de nuit, à la maison de bois isolée, en retrait de la route. En effet, si vous allez un jour à la Vieille Mine, ne cherchez pas le
centre-ville ! La commune s'étend sur plusieurs miles, de part et d'autre de la 'route un' - Highway 21, de Saint Louis à Potosi - avec un habitat très disséminé, dans un cadre où prairies et
forêts alternent.
A proximité immédiate de l'église catholique St-Joachim, 'coeur' de la commune, se trouve une vieille maison de bois, à la peinture rouge défraîchie, sur la porte de laquelle on peut lire
'Bonjour'... Au-dessus de l'auvent de bois, une plaque ronde, avec, sur fond bleu, une fleur de lys en son centre, porte la mention : 'La Brigade à Renault 1723'.
Sur le grand terrain proche se déroule, chaque année, en mai, la 'Fête à Renault', un rendez-vous de deux jours, dans un cadre où ont été reconstruits deux fours à pain, sur le modèle de ceux que
bâtirent les premiers Français arrivés dans la région.
Dans des costumes d'avant la guerre de Sécession, les femmes ouvrent la fête, en cuisant le pain dans les fours ; les activités de ces deux jours comportent, entre autres, des tirs de mousquets à
la poudre noire, des festivals de musique, des concours de 'violonneux' et la vente ou l'exposition d'articles artisanaux dits de l'époque coloniale, avec, bien sûr, la dégustation d'une
abondante nourriture cuite sur place, sur des feux de bois. Sur l'une des affiches annonçant l'événement, on peut lire : Venez nous ouère et on vas passer un bon temp. C'est une affaire pour tout
le monde. Vous pouvez trouver la bonne musique française et irlandaise, la bonne manger, et puis tout sorte de choses.
Une autre tradition perpétuée à la Vielle Mine, et dans d'autres lieux, telle la ville de Prairie du Rocher, est celle de la 'Guillonnée'. La nuit du 31 décembre, des groupes vont, de maison en
maison, costumés et le visage noirci au bouchon brûlé, chanter la 'Guillonnée', accompagnés d'un violonneux. La coutume en serait très ancienne, et venue de France, remonterait au Moyen Age.
Annie Pagé-Pashia, nous explique, qu'à l'origine, le but de la Guillonnée était de recueillir argent et nourriture pour le bal qui avait lieu dans les jours suivants.
Les contes et chansons folkloriques français animaient les veillées quand plusieurs familles se réunissaient, chez l'une d'elles, au début du siècle. Peut-être auraient-ils complètement disparu
sans le remarquable travail fait, dans les années 30, par un Canadien, Joseph Ménard Carrière, qui vint sur place les enregistrer sur des rouleaux de cire. Ces rouleaux, retrouvés par le Dr
Rosemary Thomas, furent recopiés sur bandes et vinrent enrichir les archives de la Société Historique de la région de la Vieille Mine.
C'est ainsi qu'Annie Pagé-Pashia pu reconnaître la voix de son père, Ben Robart, qui avait, quelques cinquante ans plus tôt, chanté ces chansons pour Joseph Médard Carrière. Rosemary Thomas a
également traduit en anglais une vingtaine de contes recueillis par Carrière, contes qui ont été publiés dans les deux langues, par les Presses de l'Université du Missouri, en 1982, sous le titre
: 'It's good to tell you'. L'un d'eux commence par ces lignes : C'est bon d'vous dire eune fouès c'étaient ein vieux pis eune vieille. Sontaient pauv's. L'mangeaient rien des fèves, l'vieux pis
la vieille. Il avait s'mé des fèves, l'vieux La Fève. I'nn'a ane qui a ranmé là-bas en l'air... A sa lecture, je revivais les vacances de ma petite enfance, au coeur de la Normandie rurale.
Au cours de ce trop bref séjour en Missouri, j'ai également eu le privilège de la visite de Peter 'Pete' Boyer. Cet homme jovial, dont la carte de visite porte la mention : 'vieux homme
français', à lui seul, eût mérité le voyage. Conteur, violonneux, joueur de guitare à cordes d'acier, folkloriste, et joueur d'harmonica, il est une célébrité locale.
Ainsi s'est perpétué, après plus de 250 ans, l'héritage culturel français de cette région du Missouri. Un journal local affirmait, il y a quelque cinq ans, que 90 % de la population de la région
de la Vieille Mine était de descendance française. Ces quelques lignes n'ont pas d'autre ambition que de leur rendre hommage et de vous les faire mieux connaître."