Ce blog, qui est aussi le vôtre, d'habitude si policé, ne pouvait pas ne pas réagir à certains propos entendus depuis ces deux derniers jours. La plume d'oie, juste taillée, qui écrit
ces articles, est aujourd'hui acérée. Ce blog ne pouvait pas rester indifférent à ce qui se passe dans ce pays, que certains n'appellent plus par son nom, mais par l'hexagone, depuis
les déclarations sur la non-utilité du défilé militaire du 14 juillet à Paris (France) et sur les doutes exprimés sur la francité (ou la francitude) d'une personne candidate à la plus haute
magistrature de l'Etat.
Paul Morand (1888-1976), écrivain, poète, diplomate, a écrit dans son poème intitulé "Nouvelle-Orléans" et daté de 1927 : "Ils furent Américains pour échapper à la France jacobine.
Mais ils se disent aussi Français pour ennuyer les Américains." Jeanne Castille, dans son autobiographie "Moi, Jeanne Castille, de Louisiane" parue en 1982, apporte
une explication aux dires du poète français : "C'est qu'à cette époque - voici seulement cinquante ans - les Acadiens, parce qu'ils parlaient le français, se pensaient Français.
Les autres, qui s'exprimaient en anglais, c'étaient les Américians. Pour les Acadiens, d'ailleurs, les Américains ne se limitaient pas aux seuls Américains : pour eux était Américain tout
individu qui, parlant le seul anglais, de ce fait ne pouvait passer ni pour Français de France ni pour Français de Louisiane ! (...) Ce n'est pas que nous manquions de pouvoir assimilateur, nous
les Acadiens de la Louisiane. Bien au contraire. Les Espagnols ont beau être venus ici avant nous, et les Allemands aussi, à l'instigation de John Law, le contrôleur financier de France sous la
Régence, puis, après notre arrivée, des Ecossais, des Irlandais, nous avons francisé tout le monde. Dans le sud-ouest de la Louisiane, où nous vivons, personne, depuis deux cents ans, ne prononce
un mot d'espagnol. Nous, les Thibodeaux, les Broussard, les Mouton, les Bienvenu, les Martin, les Bernard, les Gachassin, les Labadie, les Guirard, nous avons fait de tous les étrangers des
Français." Mais Acadiens, qu'est-ce que c'est ? Les Acadiens, pour faire simple, sont les descendants de Français qui ont émigré vers le Canada et la Nouvelle-France, et dont beaucoup ont
trouvé refuge en Louisiane après le Grand Dérangement de 1755. Dans un ouvrage paru il y a plus de vingt ans sur les Acadiens, je trouve au chapitre "D'où sont venus nos ancêtres ?",
une étude sur l'origine des colons français au 17ème siècle, qui m'apprend que 20 % de ceux-ci sont originaires de Normandie, 5 % du Perche, dans l'actuel département de l'Orne. Cette
région de Normandie, berceau de ceux qui ont tout quitté pour trouver une autre vie de l'autre côté de l'Atlantique (Il y a à Tourouvre dans l'Orne un musée consacré à leur
histoire) a un nom qui sonne comme venant du nord, comme danois ou norvégien, vous ne trouvez pas ! Dans "Les Vikings" de Frédéric Durand, professeur à l'Université de Caen et fondateur de
l'Institut des Etudes Scandinaves (1), on peut lire - nous sommes là au 9ème siècle : "Les revers essuyés par les Danois en 890 à Louvain et en Bretagne, et surtout l'écroulement de la dynastie
régnante vaincue par les Suédois, qui établissent leur domination sur le Danemark méridional, vont mettre un terme aux raids des Vikings danois en France. Le dernier épisode restait à jouer : la
constitution du duché de Normandie au début du 10ème siècle. La nationalité même de son principal acteur, Göngu Hrolfr, bientôt appelé Rollo, demeure très controversée : Danois ou Norvégien ?
(...) Deux grands centres se développent au sein du nouveau duché : Rouen qui devient la capitale politique et religieuse, et Bayeux qui longtemps demeura fidèle à la langue norroise et où
sera envoyé afin de l'y apprendre, Guillaume-Longue-Epée. Les Vikings ne tardèrent pas à se mêler à la population gallo-romaine et saxonne ; Rollo en épousant 'à la danoise' Popa, fille du comte
Béranger, avait donné l'exemple. L'apport du sang nordique dut être considérable, car jusqu'à nos jours les Normands ont présenté des caractères raciaux spécifiquement scandinaves." Puis l'auteur
explique que de nombreux mots de la langue française viennent du parler de ces peuples venus du nord, notamment des mots qui ont trait à la mer, à la navigation (quille, tribord, etc.), aux
algues (varech), que la patronymie régionale vient du scandinave, comme dans Caudebec, Elbeuf, Houlgate, etc., que des noms de famille sont la transcription plus ou moins altérée
d'authentiques noms vikings : Turgot, Turgis, Anquetil, Vigot... Dans un livre que j'ai acheté en Norvège en 1981 et que je lisais dans le train afin d'en savoir plus sur le pays
visité, entre Oslo et Trondheim ou entre Bergen et Stavanger, au chapitre sur la période viking entre 800 et 1030, l'auteur, John Midgaard avait écrit (2) : "En Europe, de grands
combats eurent lieu près de l'embouchure du Rhin et de la Seine. En 885, une grande armée composée de Danois et de Norvégiens (ces derniers appelés Nordmenn ou Normands, c'est-à-dire hommes du
nord) alla jusqu'à Paris, en fit le siège et demanda une énorme rançon ; elle ne quitta les lieux que lorsque celle-ci fut payée. Mais, ces Vikings devenaient chaque année plus agressifs, le roi
de France eut la sagesse de signer un traité de paix avec le chef Rollon qui reçut en échange la riche province qui se trouve à l'embouchure de la Seine. La nationalité de Rollon, danoise ou
norvégienne, demeure discutée. C'est ainsi que se forma le duché de Normandie. Paris, quatre fois attaqué en quarante ans, fut vaillamment défendu par le Comte Eudes et l'évêque Gozlin. Les rois
Charles le Gros et Charles le Simple, peu combatifs, préférèrent acheter aux Normands leur retraite. En 886, Charles le Gros, pour sauver Paris, donna aux envahisseurs l'autorisation de piller la
Bourgogne. Ils détruisirent Nantes, Orléans, Bordeaux, Toulouse et poussèrent jusqu'en Auvergne." Les Norvégiens sont bel et bien descendus de leurs drakkars (*) pour apporter à ce qui est
devenu par la suite des provinces françaises, des us et coutumes propres à leurs pays. Je respecte profondément la Norvège, pays où je me suis rendu deux fois, pays qui a appartenu au
Danemark puis à la Suède avant d'accéder à l'indépendance en 1905, pays de culture avec ses écrivains (Ibsen), ses musiciens (Grieg), pays surtout où l'on remet chaque année le prix Nobel de
la Paix. La France devrait en prendre sa part car en ces temps difficiles où le langage grossier se propage comme la poudre, il faudait que nos ministres sachent raison garder. Et puisque
l'Outre-mer est à l'honneur cette année -défilé militaire du 14 juillet à Paris, colloque "Un livre à la mer" à Collioure (Pyrénées-Orientales) du 22 au 28 août -, il est bien de rappeler que
dans les années 30, le maire de Sablé-sur-Sarthe, Raphaël Elizé, était martiniquais et qu'il a été assassiné par les nazis pour motif racial.
(1) Collection "Que sais-je ?" (PUF - 1977)
(2) "Histoire de Norvège" par John Midgaard (1974)
(*) Le musée des drakkars d'Oslo s'appelle le "Vikingskipshuset", le musée des Bateaux vikings.